mars 8

Réminiscences du passé

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“Je dédie cet article à toutes les femmes en cette journée du 8 mars, à toutes celles qui se sont cherchées et se sont enfin trouvées, fidèles à elles-mêmes.”


Le passé enfoui est tel un boomerang. Si on n’a pas réussi à faire un travail dessus pour soigner et guérir les blessures, on aura beau essayer de l’enterrer tant bien que mal, un jour il se réveille sans prévenir et revient vers nous. Et ce réveil qui peut être brutal va ébranler le présent et tout bouleverser sur son passage. C’est ce qui m’est arrivé l’année dernière où ces réminiscences du passé ont refait surface… 

Il y a eu différentes étapes pour pouvoir me libérer intérieurement, de ce passé qui constamment projetait son ombre sur mon présent. J’ai pu commencer à parler sans honte du viol il y a bientôt 3 ans, en me confiant à un ami cher. Il se trouvait qu’il était là au bon moment, dans une période difficile de ma vie, en pleine crise de couple et de remises en questions, et ce jour-là, je me suis sentie en confiance pour lui dévoiler ce côté sombre de ma vie. Il m’a encouragée à libérer ma parole, il m’a écoutée sans me juger. Puis il m’a dit ces paroles justes remplies de bienveillance et qui ont fait l’effet d’un électrochoc en moi : “Anya, ce qui t’est arrivé est en effet terrible. Mais c’est ton passé, il ne te définit pas et tu ne pourras pas le changer. Par contre, tu peux choisir de vivre pleinement ton présent et ton avenir t’appartient, tu es seule maître de ta vie, il faut apprendre à avancer en regardant devant toi. Le bonheur ne dépend que de toi et tu mérites d’être heureuse. Maintenant, je t’encourage à parler de ce qui t’es arrivé à ceux qui te sont chers, à tes proches, tes amis, pour te libérer petit à petit de ce fardeau. Pour qu’ils découvrent enfin qui est la vrai Anya, qu’ils sachent les épreuves difficiles que tu as dû traverser, pour qu’ils t’acceptent et t’aiment pour celle que tu es vraiment.”

Il a su me dire ce que je savais déjà au plus profond de moi, mais que j’avais tellement besoin d’entendre à ce moment de ma vie pour enfin me libérer de cette culpabilité et ne plus me sentir une éternelle victime, et ses paroles remplies de sagesse ont résonné en moi tel un écho… Je lui en suis infiniment reconnaissante, et c’est ainsi que ma parole a commencé à se libérer.

J’ai écouté son conseil et petit à petit, j’ai choisi de parler à certains de mes proches et amis, en sélectionnant ceux à qui j’allais me confier et j’attendais le moment idéal pour me livrer, et c’est ainsi que j’ai pu m’alléger de plus en plus de ce lourd fardeau. Personne ne m’a jugée, personne n’a éprouvé de la pitié pour moi, au contraire, j’ai eu la chance d’avoir une écoute bienveillante, de la compassion, des remerciements pour la confiance accordée, et j’ai commencé à me sentir courageuse et forte. Telle une montgolfière qui pour s’élever plus haut doit s’alléger, je délestais un sac de lest à chaque fois que je me livrais, et cela m’a fait un bien fou !

J’ai fait un long travail sur moi-même, le temps nécessaire de l’introspection, puis un jour j’ai décidé qu’il était temps d’enterrer définitivement ce passé, en pensant que c’était enfin terminé, que je n’avais plus besoin de le ressasser puisque j’arrivais à en parler. Je pensais qu’il était temps pour moi de passer à autre chose sans avoir besoin de creuser plus profondément dans ce passé, ni rechercher la vérité. Cela a bien fonctionné, mais juste un temps, avant que ce passé ne revienne à moi tel un boomerang.

Il y a quelques mois, j’ai raconté mon histoire à une amie que j’ai rencontré un peu par hasard (j’ai appris depuis que, dans la vie, il n’y a pas de hasard et tout ce qui arrive a un sens). Elle a eu une réaction très inattendue, personne avant elle n’avait réagi ainsi lors de mon récit. Elle m’a posé des questions, elle a creusé de plus en plus profondément dans mon passé en demandant des détails, elle m’a forcée à aller encore plus loin dans mes souvenirs, et j’ai du rechercher au plus profond de moi pour pouvoir répondre, en creusant strate après strate pour aller vers la vérité. Alors que pour toutes les autres personnes à qui je m’étais confiée, je ne rentrais jamais dans les détails précis des faits lors de mes récits, personne n’osait non plus me poser ce genre de questions pour aller plus loin, car ces questions ne se posent pas. Je m’arrêtais à ce que j’estimais entendable, je faisais mon récit en accéléré avec un certain détachement pour ne pas fondre en larmes à chaque fois que je racontais mon histoire, je ne voulais surtout pas susciter la pitié des gens.

Mais mon amie a eu le courage d’aller plus loin, elle a osé investiguer dans les méandres de mon passé, m’a forcée à me souvenir de tout dans les moindres détails, puis elle m’a dit : “Maintenant que tu m’as raconté ton histoire, que je sais ce que tu as vécu, sache que je ne te lâcherai pas tant que tu n’auras pas porté plainte. Tu dois le faire et aller jusqu’au bout maintenant, sinon tu le regretteras un jour, et ton passé va tôt ou tard te rattraper. Aujourd’hui le temps est enfin venu pour toi.” Personne avant elle ne m’avait parlé ainsi avec tant d’assurance, ni encouragé à porter plainte… C’est ainsi que chez elle, dans son bureau, j’ai craqué, j’ai laissé les larmes couler, elle m’a poussée au delà de mes limites, et je suis passée de l’autre côté du miroir. Puis tout m’est revenu petit à petit à la mémoire…

Il y a encore quelques mois, je n’avais pas envie de déterrer les cadavres de mon passé, soulever les lourdes pierres qui recouvraient ces tombes, profaner ces sépultures que j’avais mis du temps à construire pour y enterrer à jamais ce passé que je voulais plus jamais revoir, encore moins l’affronter. Fini, oublié, enterré. Je pensais que ma construction était fiable et indestructible, résistante au temps et aux intempéries de ma vie, que rien ne pouvait l’altérer. J’étais persuadée que mon passé ainsi enfoui était à l’abri dans ce cimetière que j’avais créé rien que pour lui, tel un trésor caché dans un coffre fermé à double tour qu’il ne faut jamais plus déterrer, encore moins ouvrir. C’était ma boite de Pandore. Il n’y avait rien pour distinguer ce coffre secret, aucune croix pour marquer l’endroit où il était enterré, il faisait partie du côté obscur et interdit de mon jardin secret, le tout était recouvert par une végétation luxuriante, la vie avait réussi avec les années à reprendre le dessus… J’aurai aimé que tout reste ainsi, mais la vie en a décidé autrement.

Et puis l’actualité a fait le reste. La médiatisation d’affaires de violences sexuelles (Hamilton ou Weinstein entre autres), même moi qui essaie de me protéger des médias, je n’ai pas pu y échapper, tout cela flottait dans l’air du temps, omniprésent. Et cela a contribué à ce que mon passé resurgisse encore plus violemment, il n’a finalement pas eu tant de mal à se libérer… Alors j’ai été obligée d’y faire face, je n’ai pas eu le choix même si j’ai essayé de lutter, de résister, de me cacher pour me protéger… Je n’ai pas pu résister, et les vannes de ce passé enfoui se sont rouvertes sans que je puisse cette fois les refermer, je n’ai pas pu empêcher ce déluge. Et le flot intarissable de la douleur, de la souffrance, des émotions refoulées, tout m’est revenu en plein visage, aussi frais qu’au premier jour. Tout s’est déversé en moi et ces vagues venues de ce passé lointain ont créé un véritable raz de marée intérieur dans l’océan de ma peine et de ma solitude.

Non, on n’oublie jamais. Enterrer son passé ne permet pas au temps d’effacer la douleur et la souffrance, ni de sécher les larmes trop longtemps retenues. Au mieux, la douleur est endormie, mais je sais maintenant que l’accalmie n’était que temporaire. Et les nuits blanches sont revenues, les flashs de ce passé ont envahi mes nuits, et j’ai revécu de nouveau cette lutte intérieure : moi toute seule face à moi-même, et c’est sans conteste le combat le plus difficile que j’ai eu à mener dans ma vie… Le combat le plus dur, mais j’ai triomphé et j’en suis ressortie grandie, plus forte et courageuse que jamais.

J’avais tout juste 15 ans et les rêves plein la tête… Et au milieu de ce trou noir, au bout de ce tunnel obscur que je pensais sans fin, il y avait un rayon de lumière et j’ai retrouvé cette petite fille que j’étais : j’ai eu de nouveau 15 ans et mon enfant intérieure, que j’avais oublié tant d’années, m’a criée à l’aide. Je me suis reconnue en elle, j’ai décidé de lui tendre la main et l’aider enfin. Moi qui m’étais oubliée plus de 23 ans, je ne pouvais plus continuer sur ce chemin. C’est ainsi qu’en retrouvant mon enfant intérieure, j’ai choisi de me sauver, et de me pardonner d’avoir abandonné la petite fille que j’étais. J’ai choisi de fermer enfin la boucle et refuser de subir. Et pour cela, j’ai accepté de ne plus me cacher, et d’affronter enfin mon passé enfoui, mes peurs, mes souffrances, rechercher la vérité que je ne souhaitais pas découvrir et cette fois-ci aller enfin jusqu’au bout pour me libérer définitivement.

C’est la raison pour laquelle j’ai décidé d’investiguer pour rechercher la vérité sur cette nuit de février 1994 où tout a basculé. 23 ans après les faits, j’ai décidé enfin de porter plainte pour viol sur mineure, malgré la prescription.

 

Rien n'arrête une idée dont l'heure est venue
Pas de prescription pour la souffrance

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  1. Chère Anya, quelle belle et émouvante résurrection! Ce retour en arrière vers tes 15 ans n’a pas dû être facile , mais je suis sûre qu’au jour d’aujourd’hui, cette enfant, comme tu dis, t’est reconnaissante de l’avoir enfin libérée de ses démons, de ses culpabilités et ses hontes, de l’avoir enfin permis de vivre …. Je suis heureuse que tu te sois enfin réconciliée avec toi-même pour avancer dans la vie, réaliser tes rêves et tes passions ! Tu as encore tellement de choses à faire, à découvrir, à apprendre! Profite de ce que la vie t’apporte, chéris la, apprécie chaque moment… Tu es juste bénie de pouvoir vivre cette nouvelle vie…
    Je t’embrasse fort.
    Nat. T

  2. Ma chère Nathalie,
    Ton message me touche profondément, je tiens à te remercier du fond du cœur pour ton aide, tes encouragements et le soutien inconditionnel que tu m’as apporté, je t’en suis très reconnaissante !
    Tu as raison, je suis chanceuse et ressens beaucoup de gratitude de pouvoir vivre cette nouvelle vie que je choisis, pleine de découvertes, passions, apprentissages et belles rencontres dont tu fais partie. La vie est trop courte pour ne pas profiter de chaque jour, chaque heure, chaque seconde qui nous est donnée… Je t’embrasse et te dit à très bientôt !

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