janvier 10

Le jour où j’ai appris à parler

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Une belle leçon de vie et d’espoir avec le magnifique témoignage d’Anne-Laure que j’ai le plaisir de partager avec vous. Merci Anne-Laure pour ce beau partage et pour la confiance que tu m’as accordée, j’en suis très honorée ♥


Lorsque Anya m’a proposé d’écrire mon histoire, je lui ai dit oui, touchée qu’elle puisse la juger utile. Dans la foulée, je me suis dis que ce serait facile. Il suffisait que je bloque deux heures et le tour serait joué. Après tout, je la connais mon histoire. J’en ai fait le tour, non ? Et puis, écrire fait partie de mon métier. Pourtant cela fait plus de trois mois qu’Anya m’a fait cette proposition et je n’avais pas encore aligné trois mots. J’ai écris des centaine d’histoires, mais la mienne … Alors de je me suis trouvée une excuse. C’est vrai quoi, je suis débordée moi ! Je jongle tous les jours entre ma vie de maman, mon travail, mon amoureux, mon club de boxe.

Mais si on peut assez facilement duper les autres, c’est déjà beaucoup plus compliqué de se duper soi-même. Parce que oui comme la majorité des femmes je suis débordée, mais il faut bien regarder les choses en face, j’ai simplement encore du mal à la raconter mon histoire, malgré les 24 ans qui viennent de s’écouler. Alors j’ai décidé d’arrêter de me raconter des salades et je vais écrire mon histoire. Mais je vous le dis tout de suite ce n’est pas une histoire triste, car je ne suis pas triste !

Mon récit n’a malheureusement rien de très original et ressemble à tous ceux racontés ici. Il débute l’été de mes 17 ans lorsqu’un certain F. me viole. Il était ce qu’on appelle un ami de vacances. Un type bien sous tout rapport, BCBG, au camping chaque année au même endroit avec ses parents. Entre nous, il ne s’était jamais rien passé. Pas de filtre, pas de drague. Alors quand il m’a invitée à dormir dans sa tente, je n’ai rien soupçonné. Il a abusé de moi le matin, à deux mètres de ses parents. Je les entendais de l’autre côté de la toile de tente. Mais je n’ai rien dit. Je n’ai pas crié. Je ne me suis pas débattue. J’étais dans un état de sidération totale.

La suite, je ne m’en souviens pas. Comment suis-je sortie de cette tente ?  Comment s’est passé le reste de mes vacances ? Trou noir ! Je sais juste qu’à cette date, mon esprit a pris la décision de tout oublier, de verrouiller au plus profond de moi ces quelques minutes qui ont changé ma vie. Protester, porter plainte n’étaient pas des options. Je vivais dans un milieu rural et moralisateur, au sein d’une famille absente. Je ne pouvais pas en parler. C’était juste impossible. Alors j’ai continué, tout simplement.

Une année plus tard, le jour de mes 18 ans et des résultats de mon Bac, un homme m’a de nouveau agressée, au même endroit ou presque. Là encore, la sidération, la paralysie. Je n’ai pas pu me débattre. Je n’ai pas crié. J’ai simplement dit non. J’ai été sauvée à la dernière minute par deux personnes qui ont mis mon agresseur en fuite. Là encore, je me suis relevée. Je me suis rhabillée et j’ai continué. Ne plus penser, s’anesthésier et surtout, surtout ne mettre aucun mot sur ce qui était arrivé, car les choses qui n’ont pas de nom n’existent tout simplement pas.

J’ai repris ma vie là où elle s’était arrêtée. J’ai fait des études. J’ai fait la fête. J’ai rencontré mon mari. J’ai décroché un bon boulot. J’ai fait le bout en train. J’ai donné naissance à mes deux filles.

De l’extérieur, j’avais une vie parfaite. J’étais une femme souriante, de bonne humeur, bref heureuse. Pourtant au fond de moi, je me sentais fissurée, complètement vide. J’étais en proie à de terribles angoisses. Je ne pouvais pas descendre dans un parking souterrain ou marcher seule la nuit. Mon corps aussi me faisait souffrir. J’avais mal au dos, mal à la tête, mal à l’estomac. J’ai couru les médecins, trouvé toutes sortes d’excuses à ces maux. J’ai même fait deux psychothérapies qui n’ont rien mis à jour. Je culpabilisais. Bon sang Anne-Laure, bouge-toi ! Tu as tout pour être heureuse. C’est vraiment n’importe quoi !

Et puis, il y aura bientôt 6 ans, je me suis fait agresser au couteau en pleine rue, en pleine journée. Un type fou furieux parce que j’étais garée devant chez lui a sorti un couteau et m’a menacée. J’ai porté plainte. Il a reconnu les faits et a été condamné. Ça a été dur sur le coup, mais j’avais été reconnue victime et lui coupable. J’ai pu faire rapidement le tour de cette histoire.

Mais ce que je ne savais pas, c’est que cette agression allait déclencher une toute autre tempête en moi. Peu de temps après, j’ai commencé à faire des cauchemars, à vivre des flashbacks. Des images d’agression, de violence revenaient sans cesse. J’étais bousculée, malmenée, épuisée, par ces souvenirs que je ne savais pas interpréter. Il me faudra encore 18 mois et la patience d’une formidable psychiatre pour, un jour d’octobre, réaliser que j’avais été violée.

Prononcer ce mot me prendra encore plusieurs semaines. Il faudra que j’aille chercher dans le dictionnaire, que je consulte le code pénal, pour accepter enfin que oui j’avais été violée. A ce moment là, j’ai eu la sensation de tomber d’une falaise. Comment avais-je pu oublier ? Tout cela m’était-il vraiment arrivé ou était-ce une invention de mon cerveau ? J’ai cru devenir folle.

Ce phénomène a pourtant un nom. Il s’appelle symptôme de stress post-traumatique avec amnésie. Une amnésie qui aura duré 19 ans et demie. La suite est un mélange de pleurs, de déni, de colère, mais aussi un soulagement énorme et un sentiment intense de se sentir en vie. Je ne savais pas où j’en étais, ni ce que j’allais faire de tout cela. Je m’étais pris une sacrée claque ! Mon entourage lui n’a pas compris. Si je peux accepter que le choc ait été énorme pour eux aussi, ils n’ont pas été là pour me prendre dans leurs bras ou pour me dire qu’ils étaient désolés. Les mots de réconfort ne sont jamais venus. Il a fallu faire avec, mais je savais désormais au fond de moi que ça irait aussi, que j’étais désormais assez forte pour aller de l’avant.

Assez vite, il m’est apparu que mes angoisses ne disparaitraient pas d’elles-mêmes. Il était pourtant hors de question de continuer à ressentir de la peur. Il fallait trouver une solution. J’ai alors un peu par hasard poussé la porte d’un club de boxe chinoise et de self défense. Je pensais sincèrement ne prendre que quelques cours, histoire d’apprendre quelques techniques et puis c’est tout. J’y ai pourtant découvert bien plus : mon meilleur ami et un sport qui m’a rendue plus forte.

Les premières séances ont été dures physiquement et parfois mentalement, mais je me suis accrochée. J’ai découvert que mon corps avait de la force. Je l’ai musclé. Moi qui l’avais détesté pendant tant d’années, je me suis mise à mieux le regarder et à en faire un allié. Petit à petit mes douleurs ont disparu. Petit à petit mes angoisses sont devenues moins fortes. Alors bien sûr, la boxe n’a pas tout fait, mais elle m’a beaucoup aidée. Je me suis investie à fond et il y a trois ans mon instructeur, un ami et moi avons ouvert un nouveau club de self défense. Rien de grandiose, pas de gros budget, mais nous donnons deux fois par semaine des cours à une vingtaine d’élèves.

Ce club est pour moi une immense victoire. Le signe que mes blessures sont devenues une force. Je sais aujourd’hui que je peux avancer pour moi et mes filles. Il m’arrive encore d’éprouver du chagrin, mais les nuages finissent toujours par passer. Je suis heureuse. Aujourd’hui j’en suis sûre. J’ai transformé mon histoire en carburant pour l’avenir. Je suis amoureuse. J’ai un métier qui me plaît, deux enfants formidables et des amis sur qui je peux compter. Je me sens en vie.

Alors s’il n’y a qu’une seule chose à retenir de mon histoire, c’est le pouvoir de la parole. Quoiqu’il puisse vous arriver, même si personne ne vous entend, même si personne ne vous croit, parlez. Pas pour les autres, mais pour vous ! Le silence détruit à petit feu. La parole libère. Alors parlez, parlez, parlez, n’arrêtez pas de parler…

Anne-Laure (Suisse)

 

Lettre à mon corps
J'ai pris mon envol doucement mais sûrement

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