Cet article est la suite du précédent sur mon dépôt de plainte au commissariat. Je retranscris sur cet article les mots et les sentiments du jour de ma plainte dans mon cahier que j’ai nommé “mon journal de guérison”. Après ces lignes du soir suite au dépôt de plainte, je n’ai plus ressenti le besoin d’écrire dans ce cahier, ce sont donc mes dernières lignes avant de commencer à écrire sur ce blog.
4 jours après ma visite au commissariat de police, j’ai reçu enfin l’appel que j’attendais : l’appel de la Brigade de Protection des Mineurs de Paris. J’ai rendez-vous le lendemain matin chez eux. Enfin le moment tant attendu et redouté à la fois, celui de mon dépôt de plainte. Cela va être dur je le sais, mais en même temps libérateur, cela fait 23 ans que j’attends d’être enfin prête pour ce moment…
Vendredi 17 novembre 2017 :
Aujourd’hui est le grand jour. Le jour où j’ai réussi à faire un pas de plus sur le chemin de la guérison. J’ai décidé de fermer enfin la boucle et refuser de subir : le jour tant attendu et espéré, celui de ma libération. Je m’offre la paix intérieure, et c’est cadeau qui n’a pas de prix.
Je me suis réveillée dès 6 heures du matin, je ne pouvais pas dormir plus. J’ai rendez-vous à 10 heures à la Direction régionale de la Police Judiciaire, section BPM (Brigade de Protection des Mineurs), dans leurs nouveaux locaux dans le 17ème arrondissement et qui remplacent ceux du quai de Gesvres.
J’ai donné rendez-vous à mon amie, qui m’avait déjà accompagnée une semaine plus tôt au commissariat, devant le bâtiment de la Police Judiciaire. Mais malheureusement, elle n’a pas pu m’accompagner à l’intérieur, les policiers m’ont informée que je ne pouvais pas être accompagnée ici, et que je devais donc témoigner seule. Je dis donc à mon amie de rentrer, il n’est pas nécessaire qu’elle m’attende car je ne sais pas combien de temps va durer mon dépôt de plainte. Après un peu d’attente, une policière est venue de chercher et j’ai été conduite aux bureaux de la BPM qui ne traite que des cas de viols sur mineurs.
L’officier de police qui me reçoit se présente, elle me dit qu’elle est en stage dans ce service. Je suis étonnée que l’on m’envoie une stagiaire prendre ma plainte, je me demande intérieurement si c’est parce que mon cas est prescrit qu’ils m’ont envoyé une stagiaire, et personnellement, je trouve qu’elle aurait dû s’abstenir de se présenter en tant que telle. Cela ne m’a pas fait bonne impression et ce n’est pas non plus très rassurant ni encourageant pour les personnes qui viennent porter plainte d’entendre que c’est une stagiaire qui va s’en occuper… J’ai eu l’impression que l’on ne me prenait pas assez au sérieux. Je lui demande alors si elle est habilitée à prendre ma plainte puisqu’elle est en stage, elle me répond qu’il n’y a pas de soucis car elle est bien gardien de la paix, et qu’elle a choisi ce service pour effectuer un stage, et qu’il s’agit d’ailleurs de son dernier jour dans la BPM. Pour son dernier jour, elle n’a pas eu le cas le plus facile. Cela me rassure tout de même de savoir qu’elle est bien gardien de la paix. Une de ses collègues nous rejoint ensuite dans la pièce.
Elle prend ma pièce d’identité, vérifie mes coordonnées. Avant de commencer mon témoignage, elle me prend la main et me regarde en me disant que ce je je m’apprête à faire est courageux, qu’elle sait à quel point c’est difficile, que je fais le bon choix. Son geste plein d’empathie m’a beaucoup touchée. Je me suis alors sentie prête.
C’est là que j’ai commencé à raconter toute mon histoire, depuis le début, tous les détails de cette nuit de février 1994, le cambriolage avec intrusion de nuit chez nous, les violences, les menaces et la séquestration, le cambriolage qui a mal tourné, les suspicions sur un des complices car ils étaient plusieurs, ma vie avant et après les faits, tout est soigneusement noté.
Ce sera une plainte contre X, car même si j’ai un nom d’un suspect qui est bien mentionné dans la plainte, comme c’est une suspicion et que je ne peux pas le prouver à 100%, ce sera donc plainte contre X. Mais les deux policières me disent que même si c’est prescrit, mon témoignage est utile et peut servir dans d’autres affaires si le nom du suspect revient plus tard, cela permet de recouper les fichiers donc ma démarche n’est pas du tout vaine, bien au contraire elle est utile à la société.
L’audition dure près de 5 heures, arrivée à 10 heures, je repars à 15 heures. La policière qui prend ma plainte m’informe que c’est l’audition la plus longue qu’elle ait eu à faire depuis son arrivée dans ce service il y a quelques mois. Mon cas est en effet complexe, c’est un double crime. Il faut questionner, noter, retranscrire, tout cela prend du temps. Près de 5 heures très éprouvantes émotionnellement et psychologiquement, car aucune question ne m’est épargnée, les questions sont même formulées puis reformulées un peu plus tard pour vérifier la cohérence de mes propos. Même les questions les plus intimes sont posées : on me demande mes attirances sexuelles, si j’ai des attirances homosexuelles, ainsi des questions sur ma vie sexuelle, les conséquences du viol sur ma vie intime, etc. Je ne pensais même pas que ce genre de questions pouvait se poser ainsi, et jamais personne n’avait osé me demander cela… Des questions difficiles, car cela peut être considéré limite pour du voyeurisme à mes yeux, mais elle m’explique qu’elle est obligée de me poser ce genre de questions, c’est nécessaire pour prouver le préjudice et les répercussions sur ma vie après le viol. Je réponds à toutes les questions, toutes sans exception.
A la fin de ma déposition, elle mentionne par écrit qu’étant donné que le viol remonte à un peu plus de 20 ans depuis le jour de ma majorité, le crime est donc prescrit par la société, que je suis au courant et qu’il n’y aura donc pas de procédure judiciaire. Puis elle me demande pour quelle raison je fais cette démarche, je luis réponds que c’est pour avoir la reconnaissance par la société du préjudice subi, et que mon témoignage pourra peut-être utile aux éventuelles autres victimes du même violeur si elles venaient à porter plainte. Je précise aussi que je ne recherche pas la justice dans ma démarche, juste la reconnaissance et cela me suffit. Elle note ma réponse en fin de déposition, puis me dit que je le fais pour les bonnes raisons.
Elle me relit les 6 pages de ma plainte et je dois approuver chaque phrase. C’est une sensation très étrange et indescriptible d’entendre lire par quelqu’un d’autre son histoire, ses mots. Lorsqu’elle m’imprime la plainte pour que je la signe, j’ai voulu relire toutes les pages avant de signer, mais la policière m’a dissuadée de le faire, elle me précise que comme elle m’avait tout lu et que j’avais approuvé, ce n’était donc pas nécessaire de relire. Je pense qu’elle aussi devait être épuisée après ces 4 heures et demie d’audition et elle n’avait qu’une hâte, d’en finir au plus vite et pouvoir aller déjeuner. Écouter quelqu’un lire et lire soi-même, c’est quand même très différent… C’est là que j’ai regretté de ne pas avoir pu être accompagnée pour être soutenue, car dans un moment de faiblesse et de fatigue intense, j’ai cédé et j’ai accepté de signer sans même pouvoir relire, j’étais tellement épuisée mentalement, et je me suis dit qu’elle avait sans doute raison, j’avais approuvé chaque ligne lors de la lecture et que de toute façon j’en aurait une copie donc la relecture n’était sans doute pas nécessaire.
Je l’ai regretté, car je n’ai malheureusement pas pu avoir de copie de mon procès verbal de plainte, et je n’avais pas imaginé une seule seconde qu’on me refuse le droit d’en posséder une copie. Lorsque j’ai demandé un exemplaire, la policière en stage me répond qu’elle va demander à sa supérieure. Quelques minutes après, elle revient un peu gênée, et sa supérieure m’explique que désormais ils ne donnent plus de copie de plainte à la BPM car ils ont eu des incidents dans le passé. Certaines personnes avaient publié les copies des plaintes sur internet et qu’étant donné que les coordonnées des policiers (noms et prénoms) apparaissent sur la plainte, cela leur a créé des problèmes. Donc pour se protéger, ils ne donnent plus aucune copie.
J’étais très déçue de me pas pouvoir avoir ma copie, et même en insistant pour avoir un exemplaire avec leur nom barré ou découpé, elle a refusé… Je n’ai pas compris son refus, puisqu’elle m’informe que c’est dans un souci de protéger leur identité (ce que je peux comprendre), alors je leur trouve une solution comme découper leur entête et toutes les parties qui comportent leur noms, et juste me laisser les parties qui comportent uniquement mon texte, je n’ai pas besoin de plus et je ne comprends pas pourquoi cela lui est impossible de satisfaire ma requête. Elle me dit non, c’est un non ferme et catégorique, et quoi que je lui dise, elle continue de refuser, sans explications. C’est comme lorsqu’un adulte dit non à un enfant sans lui expliquer la raison du refus : non c’est non et c’est comme ça, je suis plus grand que toi donc j’ai raison et c’est ainsi (ou tu ne mérites pas que je t’explique), je t’impose ma décision : c’est un peu une caricature mais c’est ainsi que j’ai ressenti les choses. La policière n’écoute ni entend mes demandes, sans doute n’en a-t-elle pas l’envie, en tous cas il est certain qu’elle ne fait pas cet effort. C’est un sentiment d’injustice et de ne pas être entendue que je ressens à ce moment-là, être dépossédée de mes propres mots, de ma propre histoire, tandis que quelques instants auparavant j’avais partagé et livré mon passé douloureux chez eux…
Je pense que si les policiers sont sans doute très bien formés à la BPM pour recevoir les plaintes de viols sur mineurs, il leur manque sans aucun doute une formation à dimension psychologique et humaine, car ils ne peuvent pas imaginer à quel point cela peut être vécu comme frustrant et injuste de ne pas avoir une copie de sa propre plainte. Car ce que je veux, ce sont mes mots, mon histoire, ma déposition, je me fiche de leurs coordonnées qu’ils peuvent rayer, découper à leur convenance. Non, ils ne se rendent pas assez compte que cela demande un courage surhumain de faire la démarche de porter plainte, et qu’après cela ne pas avoir accès à ce que j’ai dit, le fait qu’on me retire mes mots, mon histoire, tel un secret à enfouir lui aussi, c’est un sentiment d’injustice et de frustration extrême que l’on peut ressentir. N’est-ce pas une attitude paradoxale des policiers de la BPM ? Car j’estime qu’avoir une copie de sa plainte est un droit fondamental et que ne devrait pas être refusé. On ne devrait même pas avoir à demander et encore moins à insister pour recevoir sa copie, cela devrait être fait d’office, sans se poser de questions. Peut-être que si j’avais pris un avocat cela aurait été différent, car il aurait pu m’accompagner et lui aurait sans doute pu avoir une copie de la plainte.
La policière qui a pris ma plainte semblait vraiment désolée pour moi, je pense que c’est la seule à avoir compris que c’était important et symbolique pour moi mais comme elle était juste en stage, même si elle était d’accord avec moi, elle n’a rien pu faire de plus même en insistant aussi auprès de sa supérieure en lui demandant si on ne pourrait pas faire une exception et en découpant les parties en question. Ce n’est pas que j’allais relire ma plainte tous les soirs avant de me coucher ni l’encadrer, mais c’était très symbolique pour moi d’avoir la preuve d’être allée au bout des démarches, de voir mes mots couchés noirs sur blanc sur un papier officiel… J’ai juste réussi à obtenir un lot de consolation, ce récépissé de dépôt de plainte contre X avec motif viol sur mineure avec la date des faits :
C’est mieux que rien, mais cela me semblait quand même insuffisant. Sur le coup j’avoue que j’ai été très déçue, et ce sentiment a duré quelques heures. Puis je me suis dit que puisque je n’ai pas d’autre choix, je vais faire avec et je dois arrêter de me focaliser sur ce détail pour ne plus me créer des souffrances inutiles. Je suis allée porter plainte pour me libérer et non rentrer avec d’autres douleurs qui n’existaient pas avant. Et puisqu’il ne m’a pas été donné de copie, j’ai décidé que j’écrirai, pour témoigner, pour garder une trace, c’est ainsi que l’idée de ce blog a vu le jour… Ce qui s’est passé cette nuit où ma vie a basculé, je le raconterai aussi.
Face à toute expérience, même la plus désagréable, on peut faire des choix : soit s’énerver, trouver cela injuste, nourrir de la rancœur et rester en position de victime, ou soit je peux en tirer des leçons de vie et de l’énergie créatrice. C’est ce dernier choix que j’ai fait. Et pour moi, puisqu’on m’interdisait l’accès à ma propre histoire, cela s’est manifesté par une furieuse envie d’écrire. C’est devenu une telle évidence, j’allais tout écrire moi-même. Pas que des faits, mais laisser parler mon cœur, l’écouter et l’entendre, car c’est lui qui m’a dicté les mots que j’écris dans mes articles. Voici comment l’idée du blog est née un matin, des mots puis des phrases entières sont venues petit à petit dans mon esprit, il fallait que tout cela sorte au lieu que cela reste comme une voix intérieure en moi. C’est ainsi que m’est venue que l’envie de partager mon histoire, mon propre parcours sur le chemin de la guérison et de la renaissance.
Le jour de mon dépôt de plainte, j’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir, je suis allée aussi loin que je pouvais, le reste n’est plus de mon ressort et je l’accepte. Je n’ai plus aucun regret à avoir et je suis très fière de moi, fière de ce que j’ai eu le courage d’accomplir, fière du chemin parcouru. Je suis ressortie de la police complètement épuisée, lessivée, je n’arrivais plus à réfléchir après ces 5 heures passées à la BPM, et je n’avais qu’une envie, de rentrer me coucher et attendre le lendemain qu’un nouveau jour se lève. J’ai juste pris le temps de marquer quelques pages dans mon cahier pour fixer les émotions du moment. C’étaient les dernières pages de mon journal de guérison. Oui, porter plainte était difficile, même si cela remonte à plus de 23 ans, même s’il y a prescription, il y a eu des larmes et des émotions très intenses, mais je suis heureuse de l’avoir fait, cet acte fort et chargé de sens a été très libérateur. Je me suis permise de pouvoir enfin avancer, tourner la page, clore ce chapitre de ma vie, et trouver enfin le chemin de la paix intérieure.
Depuis ce jour, ma vie a pris un grand tournant et a changé, en beaucoup mieux ! J’ai pu aller de l’avant, sans peurs ni doutes, et commencé à écrire un nouveau chapitre de ma vie. Je me suis offerte un cadeau inestimable : la libération, le pardon, la paix avec moi-même. Ce combat intérieur, cette éprouvante bataille contre moi-même, je l’ai gagnée, j’en suis sortie grandie, je me suis battue avec force et courage. J’ai mérité moi aussi d’être heureuse, libre d’être enfin moi-même.
Anya tu es vraiment très courageuse et ta démarche, ton combat et enfin ta délivrance ne sont que plus admirable car à travers ces mots, ce blog, cette plainte tu vas pouvoir aider bien d’autres femmes qui n’ont pas pu parler, se livrer et qu’elles puissent se dire que oui même 20 ans après il est possible de déposer plainte même si il y a prescription. Ce que tu as fait est loin d’être facile, tu reviens de loin mais tu en sors grandi, plus forte et surtout en paix et en accord avec toi même. Maintenant le meilleur reste à venir et tu vas enfin pouvoir vivre ta vie, aller au bout de tes rêves, tes projets et profiter de chaque instant. Tu peux sincèrement être fière de toi car tu es vraiment une belle personne et un bel exemple de courage et tu nous montres également qu’il est toujours possible de se relever après une dure épreuve et d’aller de l’avant pour goûter au bonheur et à l’amour. Je te souhaite ce qu’il y a de mieux et merci d’avoir partagé ton histoire car ce n’est pas évident.
Ma chère Makalé,
Un grand merci pour ton soutien et tes encouragements, c’est avec beaucoup d’émotions que je lis tes mots, sache que je suis profondément touchée par ton message ❤️
La vie est faite de belles rencontres et tu en fais partie. Ce n’est sûrement pas un hasard, je suis très heureuse de t’avoir rencontrée. Je t’embrasse et te dit à très bientôt !