juin 6

Ce viol que j’ai nommé

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Je suis tellement émue de publier le premier témoignage d’une Résiliente… Découvrez l’histoire de Nat du Canada qui partage avec nous son chemin de vie. Merci Nat, c’est grâce à toi que cette belle aventure commence aujourd’hui. Au nom de toutes les Résilientes et celles en devenir, merci du fond du cœur ♥


En novembre dernier, je suis tombée. Jamais je n’aurais pu imaginer.

Depuis toutes ces années, j’ai fui… J’ai avancé sans me retourner. Et pourtant, je savais que je ne pourrais pas y échapper éternellement. Je savais qu’un jour, je devrais y faire face. Parce que ça ne s’efface pas. Le mal persiste. Cette honte indescriptible. Cette émotion qui m’envahit lorsque je vois une image, que j’entends un mot, que je pense à cette période de ma vie. Et pendant tout ce temps, j’ai cru que le problème c’était moi. J’ai cru que je devrais un jour me pardonner. J’ai pensé que j’étais la fautive.

Étrangement, ce sentiment de culpabilité était mélangé au sentiment d’injustice. J’avais une envie de crier, de me révolter, de me fâcher! Mais cette voix teintée de colère était aussitôt censurée par le sentiment de culpabilité « Tais-toi. De quoi te plains-tu ? C’est de ta faute. »

Quelle lourdeur insoutenable.

Depuis novembre, je suis dans un tourbillon. Je sais que je vais m’en sortir. Je sais que c’est un passage obligé. Je ne regrette pas d’avoir plongé en lisant mes journaux intimes. Je me sentais enfin prête. Cela faisait si longtemps, ça ne pouvait pas m’affecter tant ! Jamais je n’aurais cru…

Je suis tombée en choc post traumatique. En lisant quelques lignes… le choc a été physique. Je me voyais, en train d’écrire ces pages, recroquevillée sur moi-même, dans ma chambre. J’ai ressenti l’émotion. La peur. Le choc. Le désespoir… Et les premières images sont remontées.

Travailler devenait difficile. La peur m’envahissait à tout moment. J’avais le sentiment d’être un zombie, d’être absente. Et les images apparaissaient sans crier gare, telles des bulles qui remontent à la surface. Certaines floues, incomplètes, et d’autres si claires que j’en avais mal physiquement. Ce souvenir douloureux qui revenait en morceaux disparates me faisait souffrir, mais en même temps, me libérait. Un paradoxe mystérieux. C’est que mon sentiment de culpabilité disparaissait, tranquillement, avec le retour de ces images. C’était une question de justice. La vérité me frappait. La vérité, enfin. Finalement, la fautive, ce n’était peut-être pas moi…

Parler devenait une urgence. J’avais l’impression que c’était la seule issue pour me sortir de cet enfer psychologique. Je devais sortir les mots, je devais mettre au courant les gens. La vérité doit être dite ! Comment ai-je pu me taire pendant toutes ces années ? Comment ai-je pu le laisser partir sans rien dire ?

J’ai écrit à mon ami de l’époque, celui vers qui je m’étais tournée le lendemain pour avoir de l’aide. Le seul à qui j’avais osé tendre la main. Je suis donc allé souper avec lui, 20 ans plus tard… Pour lui raconter. Il devait savoir la vérité. J’avais besoin qu’il sache.

Ensuite, ma sœur. Ensuite, une amie…

Et on m’a cru. Comment expliquer le sentiment de liberté… le soulagement… j’étais en train de sortir tranquillement de cette prison dans laquelle mon âme était enfermée depuis 20 ans.

Et telle une urgence, le besoin de dénoncer. Partout dans les médias, on encourageait les victimes à parler, porter plainte. J’avais envie de hurler moi aussi ! Mais je ne savais pas si c’était une bonne idée, si ce chemin était nécessaire, si je ne me ferais pas mal…

12 décembre 2017. Je suis assise dans ma cuisine, devant mon ordinateur. La page internet du service de police ouverte, j’observe. Je réfléchis. Je tremble. Je ne sais pas quoi faire. Ce n’est pas un jeu. Ce n’est pas un jeu…

J’appelle. Je ne sais pas comment j’ai trouvé le courage. Je ne sais pas…

Je me suis dit que j’appellerais pour avoir de l’information, simplement. Pour savoir comment on fait pour porter plainte. Je prendrais une décision dans les jours à venir.

L’agent a répondu : “Service de police de Longueuil, comment puis-je vous aider ?”

– Bonjour, j’appelle pour avoir de l’information, pour savoir comment cela fonctionne pour porter plainte…

– Oui, à quel sujet ?

– … une agression sexuelle.

– Je vous envoie quelqu’un madame.

– Non! Non! Je voulais seulement avoir de l’information !

– Madame, je vous envoie quelqu’un tout de suite.

– Non! Ça ne vient pas d’arriver, ça s’est passé il y a 20 ans !

– Ça ne change rien. Je vous envoie une policière chez vous. C’est important.

Il m’a pris la main. Je pleurais. Je ne voulais pas. Je ne savais pas quoi faire. Et lui, il ne me lâchait pas. Je devais porter plainte.

– C’est très libérateur. C’est la meilleure décision de votre vie. Je ne raccroche pas, sinon vous ne rappellerez pas…Vous êtes courageuse…

Je tremblais… Je ne pouvais pas croire ce qui se passait. J’étais vraiment en train de vivre ça ? On me tendait la main. Et la jeune de 19 ans en moi pleurait, ne savait pas quoi faire. Après plusieurs minutes, j’ai dit ce mot… « ok… » Et lui me félicite, me rassure. Et il me transfert à un autre agent, une femme. Elle me demande la date de l’événement. Et surtout, le nom… « Je dois vous dire ça là ? » « Oui madame, c’est important pour ouvrir le dossier. » J’étais effrayée… mais en disant son nom, c’était le début de ma reprise de pouvoir. La parole se dénouait. La vérité. L’importance de la vérité.

Dehors, c’était la tempête. La neige soufflait depuis plusieurs heures. J’étais certaine que ce serait long avant qu’on vienne chez moi. Je ne suis pas une urgence ! Mon sapin de Noël devant la fenêtre du salon, je le fixe, je suis debout à attendre. En peu de temps, la voiture de police se stationne devant chez moi. J’ai l’impression d’être dans un rêve…

Je lui ouvre la porte. Elle secoue ses bottes pour enlever la neige collante. Elle vient s’asseoir dans le salon. Mon chat se précipite sur elle, il se couche sur ses genoux… Jamais il ne fait ça. C’est ridicule, mais pour moi, c’était un signe. Je pouvais faire confiance.

Elle est restée avec moi aussi longtemps que j’en ai eu besoin. J’ai tant pleuré. J’ai tout raconté. Et elle m’a dit : « C’est un viol. » Elle ne sait pas à quel point elle venait de m’aider. Nommer ce qui est arrivé. Dire le mot. Elle venait de me libérer.

Elle m’a demandé mon journal intime. « C’est vraiment nécessaire? » « Oui, c’est une preuve. Son nom et la date y sont écrits. » Je n’avais pas envie de lui donner, mais je savais que je n’avais pas le choix. Dans ce journal, il n’est pas écrit qu’il m’a violée. Il est écrit que je suis une salope, une conne, une fille facile… Parce qu’avant de partir, il s’est assuré de mettre la faute sur moi. Ce sentiment de culpabilité, je l’ai traîné pendant 20 ans…

« Tu as brisé le mur du silence. Maintenant, tu vas pouvoir penser à toi, passer un beau temps des Fêtes avec ta famille. J’apporte tout ça à l’enquêteur. »

Lorsqu’elle est partie, j’ai senti que je venais de faire une des choses les plus importantes de ma vie. Peu importe ce que cela donnerait, peu importe le chemin devant moi, peu importe le résultat, je ne pouvais pas faire autrement. J’avais dénoncé un crime. J’avais fait mon devoir. Et surtout, j’étais en train d’enlever cette culpabilité de sur mes épaules. Lui, il s’en allait dans les dossiers de la police. Sa place était là.

Je ne regrette rien. Il ne sera jamais reconnu coupable. Mais cela ne change rien au sujet de sa culpabilité. Cela ne change rien quant à la vérité. Je ne regrette pas cette rencontre avec les enquêteurs. Tremblante, j’ai tout raconté en détails. Même si c’était douloureux, l’important pour moi était d’être honnête à 100%. Les caméras autour de la pièce, j’avais l’impression d’être dans un film… c’était irréel. Mais je devais le faire. Il en allait du respect que j’avais enfin pour moi-même.

L’enquête a été complétée. Le dossier est allé à la Cour. Mais on ne pouvait pas aller plus loin. Pas assez de preuves, pas de témoins. Et ce journal… La procureure m’a fait comprendre que la défense jouerait avec ça. Moi, je savais pourquoi j’avais écrit ces lignes, la douleur que j’avais, la honte, la culpabilité… Mais la défense serait capable de lever un simple doute avec ce qui était écrit. La jeune fille de 19 ans pleurait. La femme de 39 ans comprenait. L’émotion et le rationnel. Et cette phrase que la procureure m’a dite « Ce n’est pas ça qui va faire que tu vas guérir… » En effet. Elle avait raison. J’étais allée au bout du possible dans ce que la société me permettait de faire. Cette justice qui n’en est pas une. Ce système qui protège les agresseurs. Les victimes qui doivent prouver hors de tout doute qu’elles ont été victimes. Je n’ai pas besoin de prouver quoi que ce soit… Je sais. Il sait.

J’ai fait ce que j’avais à faire. Aucun regret. J’ai vécu ce chemin. J’ai appris. J’ai grandi. Je suis devenue forte. J’apprends encore. Maintenant, je prends soin de moi. Je vais guérir. La honte a laissé place à la fierté… Ce n’est pas un échec. C’est une victoire.

Ce viol lui appartient. À jamais.

Nat, Canada

 

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