Pour moi, tout ce qui a été détruit peut être reconstruit. C’est ma conviction profonde.
Il y a peu de temps, Notre-Dame était au cœur de l’actualité. Le monument quasi millénaire, symbole du cœur de Paris, a été ravagé par un incendie et une partie de la cathédrale a été détruite par les flammes. Suite à l’émotion collective et au soutien mondial, des dons ont été récoltés pour reconstruire la cathédrale, qui sera un jour plus belle et plus forte que jamais.
Je ne doute pas une seule seconde qu’un jour, Notre-Dame sera reconstruite, et que je serai la première à aller l’admirer de mes propres yeux quand ce sera achevé. Dans 5 ans, 10 ans, 15 ans, peu importe, mais elle sera reconstruite. Si Notre-Dame, malgré ce drame, malgré l’ampleur des dégâts et la complexité du chantier, peut être reconstruite, alors pourquoi n’en ferions-nous pas de même de nos propres vies ? Et nous, que serons-nous devenus dans le même laps de temps, dans 5 ans comme dans 15 ans ? Aurons-nous avancé dans notre propre reconstruction, pour pouvoir enfin vivre la vie de nos rêves ?
Notre vie est tel un monument, chaque vie humaine est comme une œuvre d’art unique au monde. Un monument aussi ancien soit-il, n’est pas non plus à l’abri des catastrophes. La vie est impermanente et est jalonnée d’épreuves diverses. Ainsi va la vie des hommes : nous avons tous et toutes nos épreuves à traverser. Je ne connais personne qui a été épargné de la vie, à part les bébés qui viennent au monde.
Mais nous avons tous en nous la capacité à y faire face, à rebondir malgré l’adversité, en tirer des leçons de vie et enfin pouvoir se reconstruire. Ce processus est que ce l’on appelle la résilience. Après une épreuve traumatique tel qu’un viol, on est laissée pour morte. Il s’agit bien d’une sorte de mort, une mort intérieure même si physiquement nous sommes vivants, car plus rien ne sera jamais comme avant. Fini l’ancienne vie, il y a un long travail de deuil à faire, d’acceptation, puis enfin de reconstruction.
Il y a un avant, et un après. Une première, puis une seconde vie. Mais la bonne nouvelle, c’est que cette renaissance est placée sous le signe de l’espoir. Dans cette seconde vie, on garde les souvenirs et les apprentissages de la vie précédente mais on a grandi et évolué entre temps, et cette nouvelle chance qui nous est donné à vivre peut être bien plus belle et heureuse que la première des vies.
Après une épreuve traumatique, passée la période nécessaire de deuil, deux choix se présentent alors à nous :
- soit on laisse le champ de ruines tel quel après la catastrophe, et on en dresse un mausolée à cette tragédie. Un rien nous rappelle cette épreuve, on décide d’entretenir la mémoire du traumatisme, de vivre dans le passé, accroché à ses souvenirs et à la souffrance associée.
- soit au contraire on décide, après cette phase nécessaire de douleur et de deuil, qu’il est temps de reconstruire, pierre après pierre.
Pendant longtemps, moi aussi j’ai dressé mon mausolée : un monument aux morts suite au viol pour entretenir vivant le souvenir de ce passé révolu, tel un cimetière secret, connu de moi seule. J’ai fait attention de bien tout recouvrir de lourdes pierres pour qu’il soit imperceptible pour les autres.
Puis j’ai choisi de porter le masque de “Madame Parfaite”, celui que la société, ma famille et mes proches attendaient de moi, ou peut-être était-ce le rôle que je pensais que l’on attendait de moi. Ce masque me donnait l’illusion de me laver d’un passé trop lourd, mais il m’enfermait en réalité dans ma propre solitude et mes peurs enfouies. Derrière ce masque, j’ai choisi de montrer aux autres que tout allait bien, que j’étais forte, que tout était parfait. Ce masque, je l’ai porté une vingtaine d’années…
Mais un jour, après de trop nombreuses années de solitude, seule face à mes peurs, j’ai finalement fait le choix difficile de déterrer pierre après pierre mon passé, de détruire enfin ce mausolée, car entretenir le souvenir de l’épreuve ne me convenait plus. J’ai eu envie de passer à autre chose, sortir du mode victime dans lequel je m’étais moi-même enfermée, pour tourner enfin la page sur ce passé. Et alors j’ai choisi enfin de reconstruire. Reconstruire mon passé, me réapproprier mon histoire, et surtout me reconstruire moi-même.
Je parle bien de reconstruction, et non de réparation qui pour moi est différente.
La réparation, c’est pour moi un geste rapide, comme deux morceaux que l’on colle vite fait bien fait, un peu comme avec de la super glue, mais la tenue à long terme reste incertaine. Sur le coup, ça a l’air de tenir, mais pour combien de temps ?
Une reconstruction, comme son nom l’indique, signifie construire à nouveau : il y a une seconde vie dans ce mot, j’entends dedans le mot “renaissance”. Et pour revenir au monde et renaître de ses cendres, cela prend du temps. Mais le résultat sera à la hauteur de nos espérances, la construction résistera à l’épreuve du temps, elle sera bien plus forte qu’avant l’épreuve, pour devenir enfin inébranlable.
Il est impossible de reconstruire sur des fondations instables. Il faut donc faire un travail de nettoyage, de déblayage, pour reconstruire à partir des fondations qui seront soit à consolider, soit il faudra peut-être tout démonter pour ensuite reconstruire depuis la première pierre. Pour cela, j’ai dû ramasser et récupérer toutes les pièces de mon passé, tous les morceaux abîmés et tel un puzzle géant, recommencer à les assembler depuis le début. Nettoyer chaque pièce abimée, repérer les cicatrices, les assainir et combler les failles.
Une reconstruction dure à mon sens toute une vie, nous n’avons jamais fini de nous reconstruire, nous apprenons chaque jour.
Aujourd’hui, le thème de la reconstruction et de la résilience me passionne tellement que j’y consacre une très grande partie de ma vie, et mon histoire personnelle explique mes choix de vie d’aujourd’hui. A travers mon association, j’aide les personnes à aller sur le chemin de leur résilience via mon travail de groupe de parole. Via ma reconversion professionnelle en tant que coach de vie, j’ai choisi de me spécialiser en coaching de résilience, c’est-à-dire que j’accompagne en individuel des personnes ayant vécu une épreuve traumatique à surmonter leur épreuve, à lui en donner un sens, et enfin vivre pleinement leur seconde vie.
Je terminerai par une histoire qui a beaucoup résonné en moi lors d’une conférence à laquelle j’ai eu la chance d’assister l’année dernière, sur le thème de l’amour et du désir, par la thérapeute de couple Esther Perel. Elle racontait que ses parents l’avaient toujours inspirée et étaient ses modèles. Survivants de la Shoah, pour eux ils y avaient deux catégories de personnes parmi ceux qui avaient survécu aux camps de concentration : ceux qui n’étaient pas morts, et puis il y avait ceux qui étaient revenus à la vie…
Ses paroles sont rentrées en vibration avec moi ce soir-là. Je ne suis certes pas une survivante de la Shoah, mais j’ai survécu à un viol dans mon enfance. J’ai compris ainsi qu’après toutes ces années où je n’étais pas morte, j’avais un jour fait le choix de revenir à la vie et de renaître de mes cendres.
Et vous, quel choix faites-vous ?