Lorsque j’ai enfin décidé de porter plainte en novembre 2017, soit 23 ans après les faits, je ne savais pas par où commencer, où aller ni à qui m’adresser. J’ai cherché des informations sur internet, et j’ai finalement appelé une association qui aide les victimes de viols, afin de leur demander conseil sur les démarches. J’étais dans l’année de mes 38 ans et à ce moment-là, je pensais être encore dans mes droits, je n’avais pas imaginé qu’il y avait prescription dans mon cas. Je m’étais renseignée, et j’avais compris que j’avais jusqu’à mes 38 ans pour le faire, soit 20 ans après ma majorité puisque j’étais mineure au moment des faits, mais je ne pensais pas qu’à 38 ans et 1 jour, il était déjà trop tard. J’avais en fait jusqu’au jour de mes 38 ans pour le faire, et pas un jour de plus…
C’est ainsi que j’ai appris en appelant l’association qu’il y avait malheureusement prescription dans mon cas, cela s’est joué à quelques mois seulement. Je ne peux décrire ce sentiment de révolte et d’injustice que j’ai ressenti à ce moment-là, cette colère de se sentir de nouveau rejetée par la société, incomprise par ces hommes qui font ces lois injustes dont ils ne réalisent pas l’impact. Ces hommes qui eux n’ont pas eu à vivre ce que j’ai vécu, ce cauchemar sans fin dont on n’arrive pas à se réveiller, ni passer par ces moments de détresse et de désespoir, ni traverser seuls un désert de solitude tellement aride que beaucoup n’arrivent pas à aller jusqu’au bout…
Et moi je suis encore là, bien présente, vivante, j’ai survécu je ne sais trop comment à cette traversée qui me semblait irréalisable. Ce qui était impossible, je l’ai fait, et l’océan des possibles s’est alors ouvert pour moi… Pour arriver à ce jour où j’ai pu trouver enfin le courage d’aller jusqu’au bout et décider de porter plainte, le chemin a été tellement long, sinueux, douloureux, un parcours éprouvant rempli de peurs, de doutes et d’une immense solitude. Et c’est cette solitude qui était le plus pénible à vivre, mais elle était un choix assumé, puisque je ne pouvais et voulais surtout pas parler, j’étais emmurée dans mon silence, emprisonnée dans ma propre douleur : j’avais choisi de me taire. Et au milieu de ce silence, dans ce monde où le noir est l’unique couleur, où la nuit infinie ne cède jamais sa place au jour, rien ne me faisait plus peur que d’être seule face à moi-même, face à cette inconnue que j’étais pour moi, avec toutes mes souffrances intérieures et incertitudes. Je ne me connaissais pas assez bien, j’ai du apprendre à vivre avec cette autre moi et m’apprivoiser petit à petit, jour après jour. Quand je réussissais à faire un pas en avant, j’en faisais souvent deux en arrière et plusieurs autres de côté… et tout cela dans une pénombre si noire qu’elle arrivait à effacer toutes les autres couleurs qui avaient composé ma vie. Je m’étais réveillée comme muette et aveugle, et il fallait que j’avance seule sur ce chemin, les yeux fermés, sans pouvoir crier à l’aide. J’aurai tellement voulu que l’on fasse ce chemin pour moi, j’aurai tant aimé céder ma place à une autre fille plus forte et plus courageuse que moi, mais je ne pouvais malheureusement pas, et pourtant ce n’est pas faute de l’avoir souhaité et rêvé… Ce chemin de croix, il fallait que je le fasse seule, je n’avais pas le choix, personne d’autre que moi ne pouvait le faire à ma place, peu importe le temps que cela prendrait.
Et maintenant que j’étais enfin prête, que j’avais trouvé au bout de tant d’années l’existence d’une lumière au bout de ce tunnel noir que je croyais sans fin, j’étais stoppée dans mon élan à cause de quelques mois de trop. 11 mois, c’est donc le prix de l’impunité pour le violeur puisque la société le lave ainsi de ses crimes…
Il était temps que les choses évoluent, et qu’un nouveau projet de loi est en cours pour rallonger le délai de prescription à 30 ans après la majorité. Mais malheureusement il ne sera pas à effet rétroactif, puisqu’un crime prescrit ne peut plus être jugé, donc dans mon cas, je suis doublement victime. Née la mauvaise année, c’est trop tard pour la loi actuelle, mais c’est trop tôt pour la nouvelle proposition de loi puisqu’elle n’a pas encore été votée ni promulguée. Je suis entre deux eaux, comme beaucoup de victimes prescrites je suis une oubliée de la société, doublement pénalisée : à la fois victime d’un crime intolérable mais aussi victime d’une société dont les lois sont injustes et inadaptées. Comment est-il possible que des lois puissent êtes faites par des hommes qui n’ont jamais ressenti la souffrance des victimes, n’ont pas eu à porter un seul jour de leur vie ce lourd fardeau, et qui ne comprennent pas que l’on peut mettre des décennies avant de pouvoir être capable de porter plainte. Oui, attendre tant d’années est tout à fait normal, oui c’est le temps nécessaire et ce temps est incompressible, et non il n’y a pas de règle en la matière. Puisqu’il n’y a pas de prescription pour la souffrance, je rêve d’un monde où il n’y aurait pas de prescription pour les viols…
Mais ce qui m’a été dit ne m’arrête pas, loin de là, au contraire, je souhaite quand même porter plainte, et la prescription ne changera pas ma volonté d’aller jusqu’au bout. Il faut bien plus que cela pour me stopper. Mais la personne de l’association me répond que ma plainte ne sera malheureusement pas reçue à cause de la prescription, et que dans mon cas, le seul recours est d’écrire un courrier au procureur de la République. Ecrire un courrier ne me suffit pas, je ne peux me faire à cette idée que des policiers, qui sont des êtres humains tout comme moi, puissent refuser à une victime de recevoir sa plainte, cela me parait inconcevable, et c’est sur cette note d’amertume et ce sentiment d’impuissance que je termine l’appel.
Mais au plus profond de moi, je garde espoir et reste incrédule envers ces affirmations, alors j’ai continué à rechercher sur internet, en me demandant si c’est possible qu’une plainte puisse être refusée au commissariat. Puis je me décide à appeler une autre association qui lutte contre les violences sexuelles pour avoir un second avis, et la femme qui me répond ne me ferme pas les portes, elle ne me répond pas que ma plainte sera refusée, par contre elle me prévient que c’est moi et ma chance, que cela dépend sur quel policier je tombe car tous n’acceptent pas de prendre une plainte pour un viol prescrit. Mais ce qu’elle me dit me redonne espoir, et j’ai l’intime conviction que j’y arriverai, je me dis qu’il est impossible que des policiers n’aient pas un peu d’humanité et ne puissent pas comprendre à quel point cette démarche difficile est symbolique pour moi. J’ai décidé d’y aller le week-end, et comme j’ai la chance d’habiter Paris, ce ne sont pas les commissariats qui manquent, et s’il le faut je suis prête à faire tous les commissariats de Paris et région parisienne, pour trouver une personne qui acceptera de recevoir ma plainte.
Moi qu’on disait obstinée depuis ma plus tendre enfance, tandis que je me voyais plutôt persévérante, je suis fière d’avoir cultivé ce qu’on me reprochait ! Les gens voient souvent des défauts alors qu’il s’agit parfois de qualités, car sans cette persévérance, j’aurai sans doute abandonné. Je suis d’autant plus heureuse de l’avoir été dans ce moment-là et de ne pas m’être arrêtée à la première réponse qui me fermait des portes, sans aller vérifier la véracité des propos, de ne pas m’être arrêtée à une affirmation qui ne me convenait pas et qui me disait d’abandonner alors que j’étais si proche du but. Attention, je tiens à préciser que je ne dénigre pas du tout le travail des associations qui accomplissent des choses extraordinaires et apportent une aide très précieuse, j’estime juste que dans mon cas, je suis tombée sur une personne qui ne connaissait sans doute pas assez bien son sujet pour me répondre au mieux. J’aurai préféré qu’elle me dise qu’elle n’était pas sûre, ou tout simplement qu’elle ne savait pas, et je me serai renseignée ailleurs.
Dans la vie, il faut suivre ses intuitions, et la mienne me disait au plus profond de moi que j’avais raison d’y croire, et que ma parole serait reçue, je n’en doutais pas. “Rien ne peut arrêter une idée dont l’heure est venue”, disait très justement Victor Hugo. Et moi, rien non plus n’aurait pu m’arrêter, je sentais que l’heure était venue pour moi d’aller enfin jusqu’au bout.
C’est ce qui est arrivé, je n’ai pas eu à faire le tour des commissariats de Paris. Le premier commissariat où j’ai été a tout de suite accepté de recevoir ma plainte, sans discuter une seule seconde, et jamais il ne m’a été dit là-bas que c’était impossible de porter plainte malgré la prescription. Je tiens à préciser que la police est dans l’obligation de recevoir les plaintes des victimes même après le délai de prescription, par contre il n’y aura pas d’enquête ni de procédure judiciaire dans ce cas. Mais de toute façon, ce n’est pas ce que je recherchais dans ma démarche qui a une valeur hautement symbolique, je l’ai fait pour moi-même, pour pouvoir enfin tourner la page sur ce chapitre de ma vie. Ce jour-là, accompagnée d’une amie au commissariat, j’ai eu l’agréable surprise d’avoir face à moi des policiers pleins de bienveillance, ma parole a été accueillie et n’a jamais été mise en doute. Et ce qui devait être au départ un simple dépôt de plainte est finalement allé un peu plus loin que je ne l’avais imaginé…
Persévérante tu as raison c est une vrai qualité, je ne t ai jamais vu comme étant obstinée.
Ta force, ta persévérance, ma mere en a encore le souvenir lorsque tu as appris à nager en quelques jours de vacances en Auvergne. Et tu avais servi de modele puisque ma petite soeur avait elle aussi décidé de laisser ses bouées en te voyant poser les tiennes sur le rivage.
Merci ma chère Marine pour ce message. Je garde des souvenirs inoubliables de ces jours ensemble, mes premières vacances et avec ma meilleure amie d’enfance 🙂 À bientôt j’espère ! Je t’embrasse fort !
Merci beaucoup Anya pour la persévérance dans ta bataille intérieure .
Pas de prescription pour les victoires quotidiennes , petites et grandes …..
En effet “rien n’arrête une idée dont c’est l’heure” , le temps de libérer la parole est enfin venu , enfin venu celui de déposer ce fardeau silencieux, d’être entendue et respectée.
Quelle résilience, quel bel humain tu es ; je suis impressionnée par cette force de caractère en toi, qui donne de l’espérance et du courage à toutes les personnes qui vivent cette souffrance. Ta vie raconte bien qu’il est possible de changer de saison , de dépasser ses peurs , que la foi est plus grande que les frayeurs intimes. Merci mille fois pour ce blog, paix du coeur pour toi & ceux qui te sont chers .
Ma chère Julia,
Merci du fond du cœur pour ton message, ton soutien, tes encouragements, cela me touche énormément ❤️
C’est des messages comme le tien qui me donnent encore plus de force et courage d’aller de l’avant, et je suis heureuse de pouvoir partager mon chemin de vie. Mon blog est un message d’espoir, le témoignage qu’une nouvelle vie est possible et que nous avons tout droit au bonheur !
Je t’embrasse et te dit à très bientôt !