février 26

Deux ans

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Je suis honorée de publier cette magnifique lettre de Lola, participante à mes groupes de parole. Avec beaucoup d’émotions, elle nous partage son parcours pour l’anniversaire des 2 ans depuis son épreuve. Mille mercis Lola pour ta confiance, je suis heureuse d’être témoin de ton chemin vers la résilience…


«J’ai longtemps eu envie d’écrire à ce sujet. Je l’ai fait à de multiples reprises dans mon carnet et j’en suis contente car je peux voir l’évolution (et aussi la régression) de mon état suite à cette agression. Je peux voir la phase de déni, la culpabilité, l’angoisse, la colère, le déni encore, la dépression, l’espoir.

Si j’écris aujourd’hui, ce n’est pas par hasard. Ce matin, lors d’un rendez-vous chez la gynéco, cette dernière me demande si j’ai déjà subi une agression sexuelle. Spontanément je réponds que oui, avec un sourire un peu gêné. Pourquoi je suis gênée de dire ça à une professionnelle, qui doit garder le secret alors que je l’ai déjà raconté en détails ? J’ai déjà dû me justifier devant des personnes qui m’étaient inconnus et qui le resteront, mais qui marquèrent quand même ma vie.

Elle me demande il y a combien de temps cette agression a eu lieu. Je lui réponds que ça fait 2 ans «tout pile aujourd’hui» comme si c’était une date d’anniversaire, ou que je fêtais mes 6 mois avec mon copain. Ce n’est pas une date à célébrer (quoi que, j’ai pensé à acheter une bouteille de champagne à boire avec mes copines) mais c’est bien une date dont je me souviendrais probablement toute ma vie.

D’où le commencement de ce récit, deux ans c’est bien. Un an c’était trop tôt je n’étais pas prête et pour les autres années je vous dirai ça plus tard !

La gynéco m’a ensuite demandé comment je me sentais maintenant, avec le recul par rapport à ça. J’ai trouvé cette question et l’emploi du mot recul étrange, parce que c’est un peu comme si les gens pensaient qu’après deux ans c’était derrière nous.

Alors que c’est faux. Cela fera toujours partie de nous et ce ne sera jamais derrière nous ; on ne parle pas d’un chagrin d’amour. On va de l’avant certes, mais parfois ça revient comme une claque dans la gueule et on ne peut rien faire contre ça. On parle quand même ici d’une atteinte à notre corps, notre esprit, notre estime de nous-mêmes, notre confiance en nous. On parle de 20 minutes qui auront des conséquences sur notre vie entière. On parle de crises d’angoisse à répétition, de perte de libido, de prise de poids,  de dépression, de remise en question, d’incompréhension, de grande colère et de grande peur -de nous même et des autres-

En bref, il faudrait arrêter de dire aux victimes de violences sexuelles que « c’est passé maintenant » ; c’est la pire des choses à dire (même si ça peut partir d’une bonne intention, je suis consciente que trouver les bons mots n’est pas évident). Cela peut faire 20 ans ou 3 mois, personne n’a la même histoire et personne ne vit les choses de la même façon. Certain(e)s vont en parler directement, d’autres n’auront malheureusement pas la chance, l’occasion, la force d’en parler. Ces personnes ne sont pas à blâmer. Le cerveau entame un tel processus de protection, c’est très déroutant de bien comprendre et tout remettre dans l’ordre.

Aujourd’hui ça fait deux ans et il fait beau à Paris, un beau soleil et un ciel bleu. Le jour de mon agression, il pleuvait et il faisait moche. Comme si la météo représentait mon état d’esprit.

Parce qu’aujourd’hui, je ne suis plus victime. Je suis une belle résiliente de 19 ans à qui la vie promet de jolies choses que j’ai vraiment hâte de découvrir.

Évidemment  ça a été compliqué, j’ai eu des moments de désespoir où rien ni personne ne pouvait m’aider à aller mieux ; et j’ai pourtant essayé les chips, l’alcool et l’enchaînement  d’histoires insignifiantes dont je ne me souvenais plus le lendemain. Savoir qu’on peut toujours plaire, mais surtout pas sobre et la lumière toujours éteinte.

Des moments où j’angoissais tellement de le voir tous les jours que je n’arrivais plus à respirer, des moments où personne ne pouvait me toucher, où l’idée de dormir à côté de quelqu’un m’était insupportable, le moment où j’ai échangé mon matelas deux places contre un matelas une place, le moment où j’ai découvert mes seins couverts de bleus, le moment où j’ai déposé plainte à la brigade des mineurs, le moment de la confrontation qui fut le deuxième traumatisme de ma vie, le moment où j’ai découvert que la policière n’avait pas transmis mes preuves au parquet, le moment où le juriste m’a dit qu’il valait mieux laisser tomber parce que ça ne mènerait à rien. Le moment où j’ai donc baissé les bras.

Et puis il y a eu ce que j’aime appeler la reconstruction. C’est dans la logique des choses me dira-t-on, après la destruction du corps et de l’âme, vient la reconstruction. Je répondrais alors qu’il n’y aucune logique, parce que si on part de ce principe là, quelle est la logique à se faire violer ?

Cette date de deux ans tombe quelques jours après mon premier groupe de parole où j’ai rencontré des femmes toutes aussi courageuses et inspirantes les unes que les autres. Chacune avait sa propre histoire, et avançait à son rythme, avec les ressources dont elle disposait. Ce groupe de parole fut un moment si décisif dans ma résilience. Après, j’ai ressenti quelque chose que je n’avais pas encore ressenti : la légèreté. Et pourtant croyez-moi, c’est plutôt lourd un groupe de parole.

Écrire a toujours été très important pour moi et c’est une très bonne thérapie, alors écrire pour me rendre compte de mon chemin parcouru durant ces deux ans est encore plus important.

Je suis encore très en colère et touchée par cette agression, qui m’a fait prendre conscience de beaucoup de choses sur la condition de la femme. 

Pourvu que ça change, que les mentalités évoluent. Que les femmes ne soient plus sexualisées sans cesse. Que ce ne soit plus aux victimes de prouver qu’elles ne mentent pas, qu’elles n’aient plus à se justifier parce qu’elles portaient un short, parce qu’elles n’ont pas dit non tout de suite, parce que c’était leur petit ami, parce qu’elles l’avaient embrassé, parce qu’elles avaient changé d’avis, parce qu’elles ont porté plainte tard, parce qu’elles ne se souviennent plus…

Ce n’est jamais la faute de la victime.

Je ne sais pas comment finir ce texte, je n’ai pas de bilan à dresser, de conseils particuliers à donner ou de conclusion à tirer.

Car une chose est sure, ce n’est pas la fin mais bien le début d’une nouvelle histoire.»

Lola

 

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